Plurilinguisme et inclusion scolaire : contextes, enjeux et formations

Plurilinguisme et inclusion scolaire : contextes, enjeux didactiques et formations

Le colloque international « Plurilinguisme et inclusion scolaire : contextes, enjeux et formations » fait suite à une première édition qui s’est tenue en décembre 2022 à la faculté des sciences de l’éducation de l’université Mohammed V de Rabat (Maroc). La présente édition entend réexaminer le plurilinguisme en tant que vecteur d’inclusion scolaire, tout en faisant abstraction de toute considération politique ou idéologique. Un espace de discussion sera ouvert à propos du rôle dévolu au plurilinguisme dans les dispositifs d’accueil pour allophones, des approches et des places qu’elles accordent aux langues et à leurs usages.

Les 13 et 14 mai 2025 à Besançon, France.

Co-organisé par le laboratoire ELLIADD (UR 4661, Université Marie et Louis Pasteur, Besançon, France), l’Université de South Australia (Adélaïde, Australie) et la Faculté des sciences de l’éducation, Université Mohammed V (Rabat, Maroc)

Argumentaire 

En plus d'un accroissement conséquent des flux, les migrations internationales ont changé de forme et de destination au cours des trois dernières décennies. Selon le rapport 2022 de l'Organisation Internationale des Migrations (OIM), le nombre de migrants internationaux dans le monde était estimé à 281 millions en 2020, soit 3,6 % de la population mondiale. Ainsi, ils étaient 128 millions de plus qu’en 1990 et trois fois plus qu’en 1970. Les régions qui ont accueilli le plus de migrants internationaux sont l’Asie et l’Europe, avec respectivement 87 millions et 86 millions de personnes. Le continent africain a vu le nombre de migrants internationaux atteindre 25 millions de personnes entre 1990 et 2020. L’Afrique du sud, le Nigeria et la Côte d’Ivoire sont les pays africains qui accueillent le plus de migrants. Cependant, la grande majorité des migrants ne franchit pas les frontières du pays. L’OIM estimait à 740 millions le nombre de migrants internes dans le monde en 2009. Et contrairement à certaines croyances, 80% des migrants africains restent à l’intérieur de leur continent.

L’accroissement des flux et l’apparition de nouveaux couloirs migratoires mettent à l’épreuve la capacité des systèmes éducatifs de plusieurs pays à intégrer efficacement les nouveaux arrivants. Alors que le défi majeur des systèmes éducatifs est d’accueillir idéalement tous les enfants et les adolescents en âge d’être scolarisés et de leur offrir une formation de qualité, l’installation de migrants internationaux met la question de l’inclusion scolaire au cœur des préoccupations éducatives et pédagogiques.

Une inclusion scolaire réussie des enfants migrants est un enjeu sociétal avant d’être une question éducative et pédagogique. Depuis les années 50, la politique éducative en France a été maintes fois amendée et ajustée. Le pays a dû adapter ses politiques d’accueil et d’intégration des migrants. Le but était non seulement d’intégrer les enfants allophones au système scolaire, mais également de leur inculquer en français les valeurs républicaines. Les acronymes désignant les enfants allophones et les dispositifs pour leur accueil sont nombreux : CLIN, CLAD, CLA, DAI, EANA, UPE2A. Cette diversité d'appellation témoigne de la volonté de l'Institution à adapter l'offre éducative et de répondre le plus finement possible aux difficultés d'inclusion des enfants migrants (Cuq, 2020). Une reconfiguration des pratiques enseignantes s’impose nécessairement dans les classes de langues (Billiez 2022).

La présence d’élèves allophones dans les classes ordinaires (éducation formelle) fait en sorte que les systèmes éducatifs baignent aujourd’hui de facto dans le plurilinguisme et le multiculturel. Considéré, à tort, comme une entrave au développement des compétences langagières et à l’épanouissement des apprenants (Blanchet 2021, Champalle et Galligani 2015), le plurilinguisme est aujourd’hui plus que jamais sollicité pour mieux appréhender les difficultés liées à l’inclusion scolaire (Mendonça, Azaoui et Chnane-Davin 2020).

Après l’avènement du CECRL et la généralisation de l’approche communicative et de la perspective actionnelle, les politiques linguistiques et éducatives européennes ont donné une place importante aux pratiques enseignantes innovantes permettant d’exploiter les répertoires langagiers des apprenants. Les récentes études (Châteaureynaud et Piot 2022, Mendonça, Azaoui et Chnane-Davin 2020), portant sur le développement de la compétence plurilingue et pluriculturelle, soulignent l’importance des nouvelles approches pour une meilleure inclusion scolaire et sociale. Le translanguaging et les approches plurielles issues du CARAP en sont les exemples les plus symboliques (Candelier 2008, Candelier et Castellotti 2013).

A l’instar de plusieurs pays européens, la France a développé au début des années 2000 une politique faisant de la maîtrise de la langue du pays d’accueil un marqueur fort de l’intégration (Adami, 2012). Cette intégration à la société au sens large se décline de manière spécifique au sein du système scolaire où elle a pour vocation de scolariser tous les élèves et de permettre aux non-francophones de suivre totalement ou partiellement un cursus scolaire ordinaire (Cuq, 2003). L’objectif de l’intégration linguistique (Adami et André, 2013) a été soulevé par les chercheurs en didactique, notamment en interrogeant le statut de la langue à enseigner, i.e. Français Langue Maternelle (FLM), Français Langue Etrangère (FLE) ou Français Langue Seconde (FLS) (Verdelhan, 2002). L’institution a répondu en 2002 par la création des CASNAV (Centres Académiques pour la Scolarisation des élèves allophones Nouvellement Arrivés (EANA) et des enfants issus de familles itinérantes et de Voyageurs (EFIV). Cet organisme s’occupe au niveau de chaque académie de l’accueil et de l’intégration de ces élèves au sein de classes spécialisées. Le dernier dispositif créé en 2012 est celui des UPE2A (Unité Pédagogique pour Élèves Allophones Arrivants).

La question de l’inclusion scolaire des enfants migrants en France a donné lieu à une grande enquête, commandée par le Défenseur des droits (2015), et menée par un groupe de chercheurs dont le rapport est consultable en ligne (Armagnague et al. 2018). L’enquête a conclu à une grande hétérogénéité des profils migratoires et scolaires des enfants et des adolescents migrants, avec une diversité des origines, des parcours et des expériences migratoires. L’enquête a montré que le nombre des élèves allophones nouvellement arrivés était en augmentation constante, passant de 54500 en 2014-15 à 60700 en 2016-17 (Armagnague et al. 2021). Selon plusieurs chercheurs, l’accueil des élèves allophones nouvellement arrivés dans les classes UPE2A, malgré quelques hétérogénéités observées sur le territoire, atteint relativement bien les objectifs qui lui sont assignés par l’Institution. Des améliorations sont encore possibles en matière de formation des enseignants (Rigoni, 2020).

La question de l'inclusion scolaire des enfants migrants est nouvelle dans de nombreux pays, notamment dans les pays devenus récemment terres d'immigration. Les dispositifs spécifiques pour la scolarisation des enfants migrants y sont quasi inexistants, en particulier dans les pays du Sud (HAIDAR 2022). Les rares offres d’accompagnement des enfants-migrants sont proposées par la société civile et les organisations non gouvernementales qui arrivent difficilement à répondre à la forte demande.

Le colloque international « Plurilinguisme et inclusion scolaire : contextes, enjeux et formations » fait suite à une première édition qui s’est tenue en décembre 2022 à la Faculté des Sciences de l’Education de l’université Mohammed V de Rabat (Maroc). Les interventions avaient souligné le rôle important que pourrait jouer le plurilinguisme dans le processus complexe et multidimensionnel de l’intégration scolaire des élèves allophones ainsi que les difficultés auxquelles serait confronté tout acteur éducatif, lors de la conception des dispositifs d’accueil, s’il n’est pas tenu compte de la composante plurilingue.

La présente édition entend réexaminer le plurilinguisme en tant que vecteur d’inclusion scolaire, tout en faisant abstraction de toute considération politique ou idéologique (Adami et André 2015). Un espace de discussion sera ouvert à propos du rôle dévolu au plurilinguisme dans les dispositifs d’accueil pour allophones, des approches et des places qu’elles accordent aux langues et à leurs usages. Le colloque invite les participants à interroger l’élaboration, la conception et la mise en œuvre de séquences didactiques centrées sur le plurilinguisme, à questionner la didactisation des savoirs via les approches plurilingues destinées à tenir compte des besoins des apprenants dans différents contextes d’enseignement des langues et des disciplines scolaires pour élèves allophones. Une série de questions se posent : les approches plurilingues sont-elles universelles ? Les répertoires langagiers des apprenants sont-ils exploitables dans tous les contextes, y compris les contextes hétérogènes ? Quelles articulations établir entre savoirs enseignés et plurilinguisme ? Quelles inflexions insuffler aux politiques linguistiques et éducatives plurilingues pour faciliter l’inclusion scolaire ? Quelles formations initiales et continues mettre en place pour enseigner par le plurilinguisme, en langue et dans les autres disciplines ?

Toutes ces questions constituent la charpente de ce colloque qui permettrait d’esquisser les orientations pour la prise en compte du plurilinguisme comme vecteur d’inclusion scolaire.

Axe 1 : reconfiguration épistémologique de la didactique du bi-plurilinguisme pour de nouveaux contextes

Pensée au départ pour promouvoir la mobilité européenne (Beacco et Byram 2007), la didactique du plurilinguisme s’est progressivement hissée au premier plan des approches éducatives. Elle est arrivée à se forger un appareillage conceptuel solide et cohérent dont le but est de favoriser le développement d’une compétence plurilingue et pouvant aussi servir à l’inclusion scolaire et sociale du public migrant. Cette démarche méthodologique qui promeut l’altérité et combat toute forme de discrimination (Coste, 2013) s’avère efficace dans les contextes européens. Les politiques linguistiques européennes permettant la diversité linguistique ont largement contribué à encourager ces démarches méthodologiques. Il en est de même de la parenté linguistique entre langues romanes, langues germaniques, langues slaves qui ont facilité l’adoption de ces méthodes sur le plan épistémologique et didactique (Approches plurielles ; Intercompréhension entre les langues parentes (Candelier 2003, Coste 2013, Castellotti 2006). L’on s’interroge ainsi sur une reconfiguration épistémologique de la didactique du plurilinguisme en raison de son application dans des contextes non européens, différents sur les plans linguistiques, socio-culturels et politiques. Sa mise en application dans ces contextes, notamment dans de nouveaux pays d’immigration en Afrique, exige de reconsidérer non seulement le savoir à enseigner via et par le plurilinguisme, mais aussi tous les outils conceptuels auxquels il se réfère. Ces réflexions poussent aussi à réinterroger le rapport aux savoirs enseignés et aux démarches méthodologiques innovantes. Ainsi, les notions de « déséquilibre », de « biographie langagière » et de « capital » devraient être (re)conceptualisées à l’aune d’une nouvelle configuration contextuelle, différente du multilinguisme européen. Ceci entraînera en chaîne un nouveau positionnement épistémique de la didactique des langues et des cultures dans son rapport aux réalités et aux pratiques sociolangagières. La diversité des contextes et l’adaptabilité des méthodologies par la transposition des savoirs dans le cadre d’approches plurilingues renouvelées débouchent nécessairement sur le questionnement de la prise en compte des langues de première socialisation des apprenants et des politiques linguistiques et éducatives homogénéisantes.

Axe 2 : plurilinguisme, inclusion scolaire et politiques linguistiques et éducatives

L’inclusion scolaire des enfants migrants constitue un enjeu majeur sur le plan social et culturel aussi bien pour les pays du Nord comme pour les pays du Sud. L’arrivée de nouveaux migrants déchaîne les passions dans certains pays qui, pour maintenir la paix sociale, s’engagent par les faits ou les discours à réviser leurs politiques migratoires. Dans d’autres pays, plus apaisés, l’Action publique porte en priorité sur l’adaptation des politiques linguistiques et éducatives. Par ricochet, la scolarisation des enfants migrants renouvelle les problématiques didactiques et reconfigure les contextes d’enseignement/apprentissage des langues et des disciplines non linguistiques (Gajo 2007). Les chances pour un enfant migrant de s’insérer dans un système éducatif dont il ne maîtrise pas la/les langue.s d’enseignement sont minimes. Car les savoirs à enseigner sont souvent à forte charge culturelle nationale, voire régionale qui ne lui laissent que peu de repères. Fort logiquement, les difficultés surgissent et s’accumulent jusqu’à le contraindre au décrochage scolaire.

Dans un monde globalisé caractérisé entre autres par le brassage des langues et des cultures, les politiques linguistiques et éducatives doivent être repensées pour une meilleure intégration des enfants migrants (Blanchet 2015, Châteaureynaud et Piot 2022). Le colloque « Plurilinguisme et inclusion scolaire. Contextes, enjeux et formations » met l’accent sur la prise en compte des contextes d’enseignement/apprentissage qui évoluent très rapidement et qui nécessitent le réajustement des composantes des politiques linguistiques et éducatives. Repenser l’ingénierie pédagogique, l’enseignement des langues et des langues d’enseignement pourrait s’avérer nécessaire dans certains nouveaux pays d’immigration afin de répondre à la fois aux besoins des populations locales et à ceux des migrants allophones pour garantir la cohésion sociale. L’on pourrait donc s’interroger sur l’état actuel des paysages linguistiques et sur les possibilités d’intégration linguistique des migrants. Se posent aussi d’autres questions relevant des statuts véhiculaires ou vernaculaires des différentes variétés linguistiques et de leurs positions dans le paysage sociolinguistique au niveau national ou régional et le rôle qu’elles peuvent jouer à la fois dans le champ professionnel et éducatif ou encore dans le cadre privé. Le plurilinguisme pourrait être ainsi envisagé comme une solution favorisant à la fois l’altérité et la promotion de la diversité et faire en sorte que chacun puisse apprendre la/les langues de l’Autre tout en permettant d’apprendre la/les sienne.s. L’orientation des politiques linguistiques sur le plurilinguisme aura un impact certain sur les politiques éducatives.

Axe 3 : disciplines non linguistiques et formation des formateurs à la didactique du plurilinguisme

La question de l’enseignement des disciplines dites non linguistique a toujours été consubstantielle de celle des langues d’enseignement et de l’enseignement des langues (Fonseca et Steffen 2014). Elle prend plus de poids et de relief dans des classes pour allophones. L’intérêt dans ces contextes est de s’interroger sur le rôle du bi-plurilinguisme comme but et moyen, car l’apprenant devra utiliser les variétés linguistiques qu’il maitrise afin d’en apprendre d’autres dans un premier temps et pour « verbaliser » le savoir enseigné relatif à la discipline dans un second. Ce savoir savant véhiculé en partie par le technolecte savant (Messaoudi 2010, 2013, 2021) se communique dans certains contextes via une langue seconde ou parfois même étrangère. La situation est plus cruciale pour les allophones qui se trouvent parfois en grande difficulté face à la diversité des langues et de leurs statuts respectifs, i.e. langues officielles versus langues de scolarisation versus langues véhiculaires.

Le colloque invite les participants à s’interroger à propos de la place du plurilinguisme en dehors de la classe de langue, et plus particulièrement dans les enseignements de spécialité. L’objectif est d’essayer de comprendre quel rôle il pourrait jouer dans le montage d’activités et de séquences didactiques spécifiques aux disciplines dites non linguistiques afin de mieux accélérer l’inclusion scolaire des allophones.

Le bi-plurilinguisme trouve un terrain favorable dans le champ des DNL (Gajo 2007) en raison des différentes solutions qu’il offre. Le mélange des codes et les avantages qu’il offre sur le plan cognitif, sociolinguistique, discursif et communicatif, aident au développement de toute une série d’habiletés chez l’apprenant, comme l’acquisition plus aisée d’autres variétés linguistiques et leur mise en pratique. Ces avantages ne peuvent évidemment être valorisés sans une prise en compte de la formation des enseignants au plurilinguisme (Udave 2014). Le formateur demeure le pivot sur lequel s’appuie toute situation didactique. Ainsi, la promotion du plurilinguisme pour l’inclusion scolaire passe essentiellement par une sensibilisation des enseignants des DNL et des langues à la diversité linguistique et à la maîtrise de tous les outils conceptuels et méthodologiques ce qui pourrait se refléter positivement dans leurs pratiques de classe.

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